Règles narratives de base – Le mythe du héros
Ce document a pour but d'aider les meneurs à construire des histoires variées en s’appuyant sur un modèle classique mais universel.
Ces règles narratives conviennent à tous les types d'histoires, qu'il s'agisse de comédies, de drames, de récits d’investigation ou de récits fantasy. Bien entendu, je n’en suis pas l’inventeur : elles sont présentes dans tous les récits depuis toujours, et le seront probablement à jamais…
Les protagonistes de l'aventure
Le héros (ou les héros)
Personnage central, le héros
commence généralement dans un environnement familier : sa maison,
sa ville, sa famille, son travail, son monde ou son milieu social,
etc.
Le héros représente le joueur. Il est essentiel que ce
dernier puisse s'identifier facilement à son personnage. Avant de
proposer des archétypes de héros, il est donc important de bien
comprendre le type de public auquel on s’adresse.
Il est crucial de ne pas dévoiler d'emblée l’ensemble des atouts du héros. Ce qu’il est amené à devenir doit émerger progressivement au fil de l’histoire. Le héros ne doit pas être parfait ou doté de toutes les qualités dès le départ. Son évolution, ses prises de conscience et sa progression sont les véritables trésors qu’il part découvrir.
Au départ, le joueur ne doit connaître que le strict minimum indispensable pour incarner son personnage, sans qu’on lui dévoile son plein potentiel.
Le mal incarné
Il s’agit du véritable méchant de l’aventure. Il ne doit y avoir aucun doute sur sa nature : il est malveillant, même caricatural si nécessaire, mais il ne doit pas être ridicule, sous peine de dévaloriser le héros.
Le mal incarné représente tout ce que le héros pourrait devenir de pire : son côté obscur mis en lumière. Ce personnage peut cumuler des défauts tels que la vanité, la colère, la lâcheté, la cupidité ou la perversité, mais son principal trait est l’égoïsme. Il incarne celui ou celle qui ne vit que pour son propre plaisir, persuadé que le monde ou l’univers entier existe pour lui et que tout le monde doit lui obéir.
Cependant, pour être un adversaire crédible, il doit également posséder des qualités : intelligence, charisme, volonté, etc. Ces qualités compensent ses défauts et évitent qu’il ne soit simplement un « bête et méchant ».
Le mal incarné n’apparaît dans toute sa puissance qu’au troisième acte, lors de l’affrontement final avec le héros. Avant cela, il peut être montré en action, mais jamais à son plein potentiel. Le héros doit être celui qui le force à se dévoiler.
Le mentor
Le mentor est le guide qui aide le héros à faire ses premiers pas dans l’aventure. Ce rôle peut être tenu par un personnage, souvent plus âgé que le héros, mais aussi par un livre ancien, un artefact, etc. Quoi qu’il soit, il finit par incarner la sagesse aux yeux du héros.
Le mentor fait un cadeau au héros : un objet, un conseil, un savoir, ou autre chose d’essentiel pour accomplir sa quête. Ce cadeau doit être perçu comme important par le héros, même si son véritable sens ne devient clair que plus tard.
Les alliés
Au cours de son périple, le héros croise des personnages qui deviennent indispensables à son aventure. Un allié peut apparaître à un moment clé, puis disparaître, ou rester et devenir un héros secondaire.
Un allié doit avoir un caractère, des compétences ou des savoirs qui complètent ceux du héros, surtout s’il reste à ses côtés. Si l’allié devient un héros secondaire, il doit également suivre les étapes de l’aventure et évoluer en conséquence.
Les alliés ne sont pas nécessairement des amis. Ils peuvent être d’anciens adversaires temporairement en trêve, ou des personnages secondaires éphémères. Cette étape permet au héros de développer des notions d’amitié, de solidarité, d’amour, ou même de sacrifice.
Les faux amis
Le héros est confronté à des personnages, situations ou objets qui semblent bénéfiques en apparence, mais qui s’avèrent nuisibles. Cette étape, bien que difficile, est importante : elle apprend au héros la méfiance (ou, dans le pire des cas, la paranoïa) et le discernement.
Ces faux amis ne sont généralement pas appréciés, mais si leurs motivations sont explicitées, ils peuvent gagner en humanité. Cela enrichit l’histoire et offre au héros une leçon précieuse.
Le sbire
Le sbire, ou les sbires, sont le bras armé du mal incarné. Avant d’affronter l’ennemi final, le héros doit d’abord faire face à ces « mini-boss ».
Ces confrontations permettent au héros de s’entraîner et de mesurer ses propres faiblesses. La première rencontre avec un sbire peut même tourner à son désavantage, soulignant la nécessité pour lui de progresser.
Un sbire puissant renforce l’aura du grand méchant et valorise le héros. Pour rendre le sbire crédible et intéressant, il peut être doté de motivations compréhensibles ou d’aspirations légitimes. Cela permet de créer des personnages tragiques ou fatalistes, qui enrichissent l’histoire.
Le bouffon
Le bouffon peut être un allié, un faux ami, un sbire ou même le héros lui-même (souvent sous l’influence des joueurs).
Il incarne l’élément comique de l’histoire, offrant un moment de légèreté dans un récit potentiellement intense.
Le bouffon n’est pas forcément drôle volontairement.
Ses actions, sa personnalité ou sa vision décalée du monde créent des situations humoristiques.
Cependant, il est important de ne pas le rendre ridicule, sous peine de risquer de faire basculer l’aventure dans la farce.
3 actes : Le début, le milieu et la fin
Acte 1 : Le début - L'enfance, la mise en place
1. Mise en place du ou des protagonistes centraux
C’est ici que l’on présente les personnages principaux : le ou les héros, ainsi que, éventuellement, le ou les vilains. Il est essentiel que les joueurs identifient clairement qui sont les figures centrales de l’histoire, même si ces personnages ne sont pas directement visibles dans cette phase. Leur importance doit cependant être suggérée.
En parallèle, le thème général de l’histoire est posé : on introduit les problèmes en cours ou les conflits à venir. Il ne s’agit pas d’entrer dans les détails, mais de rester dans les grandes lignes. Les subtilités et les mystères de l’intrigue sont autant de trésors que les joueurs découvriront au fil de l’aventure.
2. L’appel de l’aventure
L’aventure débute lorsque le héros est confronté à un élément déclencheur : un événement, une information, un personnage, ou un objet. Ce moment doit être clairement identifié comme un « appel » par le joueur. Au fil de l’histoire, plusieurs appels secondaires peuvent se produire, sous la forme de mini-quêtes ou d’épreuves intermédiaires.
Variantes de départ :
Le héros expérimenté :
Le héros est déjà un aventurier. Confiant, il répond à l’appel sans hésitation, tout en prenant le temps de se préparer. Habitué aux périls, il perçoit l’aventure comme une opportunité d’évoluer, d’apprendre, ou simplement comme une expérience qu’il apprécie.Le héros novice :
Le héros est inexpérimenté et peut refuser l’aventure. Les raisons sont variées : la peur, des responsabilités qui le retiennent (famille, travail, rang social), une maladie ou un handicap, etc. Ces raisons semblent légitimes, au moins à ses yeux.
Le rôle du
mentor :
Dans le
cas où le héros hésite ou refuse l’appel, le mentor intervient
pour le motiver, l’inciter ou, parfois, le contraindre à accepter
l’aventure.
La déchirure
:
Si le héros
persiste à refuser, un événement dramatique peut l’y forcer :
Une perte irrémédiable (famille, foyer, statut).
Une contrainte extérieure (un ordre impératif, une expulsion).
Ce moment est un tournant : après la déchirure, les réticences du héros disparaissent. Il est désormais dans l’obligation d’avancer.
Le héros avorté
:
Dans le cas où
le héros refuse toujours de répondre à l’appel, il s’enlise
dans la médiocrité ou un état de purgatoire. L’aventure continue
sans lui, et il disparaît de l’histoire (au moins provisoirement).
Dans le cadre d’un jeu de rôle, cette situation est à éviter,
car elle met fin à la participation du joueur. En général, le
joueur préfère relever le défi pour continuer à jouer.
3. Le seuil de l’aventure
Cette étape est cruciale. Elle marque le moment où le héros quitte son monde ordinaire pour entrer dans le monde extraordinaire de l’aventure. C’est une transition décisive : il devient pleinement acteur de l’histoire.
Le seuil peut prendre différentes formes :
Une rencontre marquante avec un personnage clé.
Un événement significatif.
Un combat symbolique.
Une décision irrévocable.
Ce passage, souvent mémorable, représente la prise de fonction du rôle de héros. Il scelle son engagement et amorce la transition vers l’Acte 2.
Acte 2 : Le milieu – La confrontation, le rejet, le chemin spirituel, les rencontres
L’acte 2 constitue le cœur de l’aventure. Il peut s’étendre à l’infini, intégrant une série de quêtes, d’épreuves et de confrontations. C’est ici que l’histoire peut évoluer en format « série », chaque épisode reprenant les fondamentaux narratifs et se structurant en trois actes.
1. Les rencontres
Les personnages que le héros croise sur son chemin, qu’ils soient alliés, faux amis ou adversaires, ne surgissent jamais sans raison. Chaque rencontre doit être motivée par une nécessité narrative :
Pourquoi sont-ils là ?
Quel est leur objectif ?
Qu’est-ce qui les lie à l’histoire ?
Les alliés et les adversaires agissent rarement pour le simple plaisir d’exister : ils ont des motivations personnelles, des objectifs, un passé, des désirs, ou des besoins. Bien que ces détails n’aient pas besoin d’être explicitement expliqués, le joueur doit finir par comprendre ce qui motive leurs actions : quête commune, douleur partagée, appât du gain, recherche de gloire, vengeance, jalousie, etc.
Les alliés
Un allié possède une personnalité complémentaire ou parfois opposée à celle du héros. L’allié doit être essentiel à l’aventure, et non un simple artifice pour combler un vide narratif.
Un adversaire initial peut même devenir un allié : une transition souvent puissante, surtout si cet allié en devenir a une personnalité forte et bien développée. Cela permet de tisser des liens profonds entre le héros et ses compagnons, nourrissant des sentiments tels que :
La reconnaissance mutuelle.
L’amitié et la solidarité.
Une compréhension réciproque, voire une relation amoureuse (platonique ou non).
Les faux amis
Les faux amis se présentent d’abord comme des figures bénéfiques ou avantageuses pour le héros, mais finissent par s’avérer nuisibles. Ils servent de rappel que tout ce qui brille n’est pas or.
Un faux ami peut se révéler être un adversaire caché, mais il ne devrait que rarement, voire jamais, devenir un allié (sauf exception scénaristique justifiée). Cette dynamique reflète une vérité universelle : dans la vie, tout n’est pas profitable, et il est crucial d’apprendre à discerner et à faire des choix.
Les sbires
Les sbires incarnent des éléments de confrontation : ils sont les adversaires intermédiaires avant le grand méchant final. Ils ne deviennent presque jamais des alliés, sauf dans des circonstances très exceptionnelles.
Un héros qui transforme ses ennemis en amis peut être intéressant à explorer une fois, mais cette idée ne doit pas être utilisée de manière excessive. Après tout, on ne peut pas plaire à tout le monde. Cela dit, une relation d’adversaire peut évoluer en respect mutuel ou reconnaissance, sans pour autant devenir une alliance.
Les autres rencontres
Les rencontres dans l’acte 2 ne se limitent pas aux personnages. Elles incluent aussi :
Les énigmes : des défis intellectuels qui exigent réflexion et créativité.
Les pièges : des obstacles inattendus qui nécessitent de la prudence ou de la ruse.
Les indices : des informations dissimulées qui éclairent le chemin du héros.
Les événements : heureux ou malheureux, ils jalonnent le parcours du héros et rythment son évolution.
Chaque rencontre, qu’elle soit un moment de triomphe ou un revers, est une opportunité d’apprentissage pour le héros. Ces expériences forment son caractère, enrichissent l’histoire, et préparent le terrain pour l’acte 3.
2. Les confrontations
Les confrontations sont des épreuves majeures où le héros est mis à l'épreuve dans divers aspects de son caractère : courage, détermination, volonté, bienveillance, ou loyauté. Elles peuvent prendre plusieurs formes :
Affrontement physique : un combat contre un sbire ou une créature.
Défi intellectuel : résoudre une énigme complexe ou décrypter un mystère.
Conflit émotionnel : affronter une peur profonde, une tentation, ou un événement tragique.
Test relationnel : éprouver la force d’une amitié ou la confiance envers un allié.
Les premières confrontations
Les premières épreuves doivent refléter la vulnérabilité et l’imperfection du héros :
Des échecs ou des demi-réussites : Le héros doit commencer par échouer ou ne réussir qu’en partie. Ces moments permettent d’illustrer que l’héroïsme s’apprend et que la route est semée d’embûches.
Montrer la faillibilité : Le héros doit apparaître comme humain et mortel. C’est en acceptant ses limites et en cherchant à les dépasser qu’il gagne en crédibilité et suscite l’empathie. Un héros parfait, infaillible, n’est ni réaliste ni attachant (sauf pour les vaniteux ).
L’apprentissage par l’échec : Chaque défaite est une opportunité pour le héros de s’améliorer.
Le rôle des confrontations
Les confrontations ne servent pas uniquement à tester les capacités du héros ; elles visent aussi à générer de l’empathie et à approfondir son développement :
Humaniser le héros : Montrer ses moments de faiblesse, de peur, ou d’immaturité.
Sublimer ses qualités : Malgré ses défauts, le héros doit transcender ses limites et révéler des qualités fondamentales : courage, intelligence, ou loyauté.
Souligner sa résilience : L’essence du héros réside dans sa capacité à se relever après chaque chute.
Un héros qui persévère face à l’adversité conserve son statut héroïque, même s’il traverse des périodes de doute ou d’échec.
3. Les résolutions
Chaque confrontation ou obstacle doit aboutir à une résolution :
Permettre la progression : Le héros ne doit pas rester bloqué de façon définitive, même si certaines résolutions peuvent être imparfaites ou temporaires.
Varier les solutions : Une résolution peut prendre différentes formes :
Une victoire obtenue par la force ou la ruse.
L’intervention d’un allié, d’un faux ami, voire d’un sbire.
Une fuite stratégique ou un coup de chance.
Une décision morale, difficile mais nécessaire, qui peut même entraîner des conflits internes ou externes.
Les résolutions imparfaites
Une résolution n’équivaut pas toujours à une solution idéale. Parfois, elle ouvre la porte à de nouveaux défis ou entraîne des conséquences imprévues :
Conflits moraux : Le héros pourrait choisir un moyen discutable pour avancer, ce qui peut provoquer des tensions avec ses alliés ou remettre en question ses valeurs.
Progresser malgré tout : Une résolution peut résoudre un problème tout en menant le héros à un péril encore plus grand.
L’échec ultime
Le seul échec véritable pour le héros est l’abandon de l’aventure. Si le héros renonce définitivement à sa quête :
Il perd son statut héroïque.
Il disparaît temporairement ou définitivement de l’histoire, laissant l’intrigue se poursuivre avec un nouveau protagoniste.
Acte 3 : La fin – L’âge adulte, la compréhension, la sagesse
L’acte 3 est le point culminant de l’aventure. Il marque la fin du voyage héroïque et la transformation définitive du héros. Cette phase est composée de trois étapes principales : la confrontation finale, la réception du cadeau et le retour à la maison.
1. La confrontation finale
La confrontation finale oppose le héros au mal incarné, son adversaire ultime. Cet affrontement n’est pas seulement un combat extérieur ; c’est aussi une lutte intérieure.
Les enjeux :
Perte symbolique : Le héros doit abandonner une part de son ancienne vie pour triompher. Cela peut être :
Un être cher,
Un objet significatif,
Une illusion ou une croyance personnelle.
Ce renoncement représente le refus de céder à sa part d’ombre, la partie de lui-même qui pourrait le rapprocher du mal. S’il échoue, il risque de devenir lui-même un instrument du mal.
Le combat :
Le mal incarné révèle sa véritable nature, déployant toute sa puissance. Ce peut être un combat physique, intellectuel, émotionnel, ou une combinaison de ces dimensions.
Le héros doit se surpasser, puiser dans tout ce qu’il a appris au cours de son aventure. Parfois, cela implique un sacrifice ultime, un acte qui transcende son propre intérêt pour atteindre une victoire véritablement héroïque.
2. Le cadeau
La résolution du conflit apporte un cadeau : une récompense symbolique ou concrète. Ce cadeau marque la fin du voyage initiatique et représente un bénéfice tangible ou intangible pour le héros et/ou ceux qu’il protège.
Nature du cadeau :
Il peut prendre diverses formes :
Un objet sacré ou utile,
Un statut social ou une reconnaissance,
La paix pour une communauté,
La libération d’un être cher.
Ce cadeau ne doit jamais être associé à des défauts comme l’avarice, la vengeance, ou la vanité. Il est un symbole de vertu et de croissance.
Le véritable cadeau :
Au-delà de l’aspect matériel, le véritable cadeau du héros est l’aventure elle-même. Par ses expériences, il en ressort plus mature, plus sage et transformé. Le voyage lui a permis de comprendre sa place dans le monde, et il est désormais apte à guider les autres.
3. Le retour à la maison
Le voyage ne s’achève pas avec la victoire. Le héros doit revenir dans son monde d’origine pour que l’aventure atteigne son terme.
Le retour :
Un héros qui reste dans le monde extraordinaire de l’aventure ne peut être considéré comme totalement accompli.
Il doit partager le cadeau de son aventure, que ce soit par son enseignement, son expérience ou ses actes. En ce sens, il devient lui-même le cadeau pour ceux qu’il retrouve.
Épreuves du retour :
Le retour peut être semé d’embûches : le héros pourrait affronter de nouvelles épreuves. Cependant, ces obstacles ne représentent plus une menace insurmontable : il est maintenant aguerri et capable de les surmonter.
Ces défis peuvent souligner encore davantage sa transformation et la valeur du cadeau qu’il ramène.
Reconnaissance :
À son arrivée, le héros est généralement accueilli avec reconnaissance et admiration. Sa famille, ses pairs ou sa communauté reconnaissent son héroïsme et sa transformation en un individu accompli.
Le héros est désormais un guide ou un mentor potentiel pour d’autres, fermant ainsi la boucle narrative.